Promouvoir l’agroécologie et les semences paysannes, c’est l’ambition du Réseau des horticulteurs de Kayes (RHK), une organisation aidée par le CCFD-Terre solidaire. Objectif : proposer aux paysans une alternative au départ.

La parcelle commune de l’association des femmes agricultrices de Samé, à quelques kilomètres de Kayes. 60 % des membres du RHK sont des femmes.
Rassembler l’argent nécessaire, puis laisser leur famille pour rejoindre la région parisienne… Dans les années 1980, Osmane Cissé a vu ses amis quitter le Mali un à un. Mais lui est resté. « Je n’avais pas envie de quitter ma ville, ni mon jardin », explique le quinquagénaire. Ce fils d’enseignant était comptable. Mais très vite, son salaire n’a plus suffi à nourrir sa famille. Il a alors acheté une parcelle d’un demi-hectare au coeur de Kayes, une ville à quelque 400km de Bamako. Aujourd’hui à la tête d’une association de paysans, il pose fièrement au milieu de l’immense jardin maraîcher aux abords du fleuve Sénégal. Une terre qu’il exploite avec une cinquantaine d’autres agriculteurs, aidés par le Réseau des horticulteurs de Kayes (RHK), une organisation financée par le CCFD-Terre solidaire.

Certaines femmes de l’association ont suivi une formation à l’agroécologie auprès du RHK. Elles transmettent ensuite aux autres les bonnes pratiques. L’agroécologie permet de doubler la production alimentaire d’une région en dix ans.
À perte de vue, des choux, des carottes, des oignons. L’ensemble a les reflets bleutés des arrière-plans des tableaux de Léonard de Vinci. Osmane Cissé se porte bien : grâce à la vente de ses légumes sur le marché, il gagne 175.000 francs CFA par mois, soit 266 euros. C’est beaucoup mieux que ce qu’il serait payé en travaillant dans un bureau. Ses sept enfants font des études, « dont deux dans des écoles privées », précise-t-il avec fierté. Lorsque ses amis reviennent de France pour les vacances, Osmane Cissé perçoit souvent une petite lueur d’envie dans leur regard. « C’est de plus en plus difficile pour eux là-bas », dit-il. L’homme a parfois le sentiment d’avoir fait le bon choix. Et pourtant tout le poussait à partir.

Dans les années 1970 et 1980, le pays fait face à une longue sécheresse. Le climat sahélien ne pardonne pas. Avec une saison des pluies courte, de juin à août, et une période sèche, où la température flirte avec les 45°C, la période de soudure est difficile à supporter si la récolte n’a pas été bonne. Au Mali, où 80% de la population travaille dans le secteur agricole, ces sécheresses à répétition ont eu des conséquences dramatiques : les troupeaux ont été décimés, les récoltes brûlées. Le nord du pays a été particulièrement touché, comme à Kayes. C’est à partir de cette époque que les agriculteurs maliens ont été pressés de faire leur « révolution verte », à l’instar des paysans européens dans les années 1960. Objectif : augmenter les rendements à grand renfort de semences hybrides, très demandeuses en engrais et en pesticides.

Or entre une agriculture paysanne qui utilise des semences adaptées au terroir mais qui ne donnent pas assez et une agriculture avec apport d’engrais qui coûtent cher et polluent l’environnement, il y a une voie médiane qui consiste à améliorer le rendement sans passer par le système productiviste qui rend dépendants les paysans. C’est le travail du RHK, qui compte aujourd’hui plus de 20.000 membres dans la région de Kayes et qui promeut la production de semences paysannes de qualité et l’agroécologie, cette méthode de culture attentive aux cycles naturels et à la préservation des écosystèmes. Cela n’a rien d’utopique : un rapport de l’Onu a démontré en 2011 que l’agroécologie permettait de doubler la production alimentaire de régions entières en dix ans.

Pour financer un projet agricole, il faut passer la barrière du prêt. Les taux d’intérêt sont en moyenne de 24 %, et le calendrier de remboursement se moque du rythme des récoltes. Ici, la parcelle de l’association des jeunes agriculteurs de Kayes, au bord du fleuve Sénégal.

À Kita, les membres du RHK ont mis en place une chaîne de solidarité pour rendre accessible le bétail à tous. Ici, la salle de stockage de l’alimentation.
L’organisation teste également des méthodes innovantes, comme la pisciculture. Devant le siège de l’association, un bassin de béton accueille quelques silures. Des poissons précieux, moins pour leur chair que pour l’eau dans laquelle ils s’ébattent… Une fois par mois, celle-ci est utilisée comme engrais liquide. Le réseau des paysans permet de faire circuler ces savoirs, mais aussi de rendre accessible le bétail, dont les excréments transformés en fumure – selon une recette permettant de libérer azote, potasse et phosphore, les éléments nutritifs nécessaires à la croissance de la plante – offrent un engrais très performant. Exemple à Kita, une ville à 250km de Kayes, où Sabou Cissé, une des membres les plus actives du RHK, a créé une association d’agricultrices. Au coeur du village, sa concession ressemble à une arche de Noé où gambadent des moutons, des chèvres et de la volaille. Les femmes de son association viennent y chercher le fumier des bêtes qu’elles utiliseront sur leurs plantations. Le RHK les a aussi aidées à mettre en place une chaîne de solidarité : « Une partie des poussins nés ici ont été donnés à une membre de l’association, qui elle-même donnera une partie des siens à une autre femme et ainsi de suite », explique Sabou Cissé.

La racine de bananier est préparée puis plantée dans le sable. La technique enseignée par le RHK vise à améliorer la qualité génétique de la plante. La méthode a fait ses preuves.
Même démarche pour les semences.« Auparavant, celles-ci étaient trop chères et de mauvaise qualité, témoigne Mariam Dialo, une des responsables du RHK. Et dans le cas des graines de plantes hybrides, non reproductibles, nous étions obligés d’en racheter chaque année. » L’organisation enseigne désormais à ses membres à produire leurs propres semences paysannes, comme celles du violet de Galmy, un oignon de la région. Leur vente est même devenue pour certains paysans une importante source de revenus.

À Dijdian, à 265km de Kayes, les semences de banane sont des pépites qui rivalisent même avec l’or. Bienvenue au Far West malien. Depuis la découverte du précieux métal dans son sous-sol dans les années 1980, la région est le lieu d’une ruée anarchique. Des villages de bric et de broc poussent à toute vitesse aux abords de mines clandestines. Les orpailleurs s’y affairent : la terre est y charriée, tamisée, pour en extraire la moindre paillette dorée. Comme tous ici, Moundirou Toungara, 49 ans, et Kalifa Tera, 65 ans, sont d’abord venus attirés par les promesses de profit rapide. Mais lassés d’attendre que la fortune jaillisse de la terre, ils ont fini par la cultiver…

Le RHK les a formés à l’amélioration des plants de banane grâce à une technique qui permet de maintenir la qualité génétique de la semence. Les résultats sont impressionnants : « Nos régimes de banane, qui ne dépassaient pas 3 kilos auparavant, pèsent jusqu’à 30 kilos aujourd’hui », témoigne Moundirou. Les deux paysans essaient de convaincre les jeunes orpailleurs de suivre leur exemple. « Ce n’est pas évident, ils sont attirés par l’argent rapide, alors que l’agriculture est un travail sur le moyen et le long terme. »

Une technique ancestrale de production d’engrais efficace : la fumure, obtenue à partir d’excréments de bétail. L’accès de tous aux bêtes permet de mettre en œuvre cette méthode.
Les chocs des sécheresses successives ont dévalorisé la paysannerie. Sans compter la question du financement des projets agricoles. « Les taux d’intérêt sont exorbitants : 24% en moyenne ! Et le calendrier de remboursement ne suit pas le rythme des récoltes, affirme Mahmadou Dialo, le président du RHK. Il faut commencer à rembourser le mois suivant la signature du prêt, alors qu’il faut attendre trois ou quatre mois avant la prochaine récolte ! » Pourtant, l’argent afflue dans cette région : en 2014, les migrants y ont envoyé 239,3 milliards de francs CFA, soit 364 millions d’euros. Mais le secteur agricole n’attire plus ces investisseurs. « Les dernières générations de migrants préfèrent investir dans les nouvelles technologies ou l’industrie, explique Assane Dione, coordinateur du Groupe de recherche et de réalisation pour le développement rural (GRRDR) à Kayes, qui travaille avec le RHK. Il faudrait pourtant financer des microentreprises agricoles innovantes. » Le RHK commence à développer des projets qui ciblent la classe moyenne malienne – que l’on voit émerger depuis quelques années en Afrique de l’Ouest -, par exemple un système de vente de légumes par panier. Et un marché « bio » est sur le point d’être créé avec les produits de l’agroécologie. Les prémices d’un nouveau regard sur l’agriculture ?

Sur le marché de kayes, les femmes vendent leur production.

Dans la brume du matin, Alassane Dialo, 27 ans, arrose ses choux à grandes volées d’arrosoir. Aujourd’hui, la parcelle qu’il loue, juste à côté de celle d’Osmane Cissé, est trop petite pour subvenir aux besoins de ses trois enfants. Alors il a commencé à économiser. Pour se payer le voyage vers la France ? « Ma décision n’est pas encore prise », dit-il. Pour emprunter la voie officielle, il lui faudrait 3 ou 4 millions de francs CFA, entre 4500 et 6000 euros.

Bien moins pour prendre la route du désert, beaucoup plus risquée. Mais c’est aussi le prix d’une parcelle tout équipée près du fleuve Sénégal. Alors que choisir ? Il y a encore quelques années, la réponse était évidente : le départ bien sûr. Mais aujourd’hui, le choix pour lui n’est plus aussi simple. « Si j’avais les 3 millions, je resterais bien sûr. J’aime ce métier… », livre-t-il dans un souffle. Les rendements nouveaux des agriculteurs du RHK et la réussite d’Osmane Cissé commencent à faire changer d’avis les paysans de Kayes, qui rêvent désormais de s’enraciner.

Texte : Anne Guion. Photos : William Dupuy / Picturetank
http://www.lavie.fr