Explorez le passé obscur des Afro-Iraniens, héritiers d’esclaves et d’immigrants africains installés en Iran depuis des siècles. Leur trajectoire singulière, entre traditions africaines et culture persane, témoigne de la résilience d’une communauté, oscillant entre la mémoire effacée et la reconnaissance de son identité.
L’histoire de l’Afrique et de ses diasporas dépasse les continents et les frontières visibles, comme en témoignent les Afro-Iraniens, un groupe largement méconnu mais profondément ancré dans le sud de l’Iran, à travers des provinces telles que le Hormozagan, le Sistan, le Baluchistan et le Khouzistan. Descendants d’esclaves venus d’Afrique de l’Est par la traite orientale, les Afro-Iraniens sont aujourd’hui une minorité dotée d’un patrimoine culturel complexe, mêlant l’Islam chiite, les traditions africaines et persanes entre elles. Leur présence, malgré tout souvent oubliée des souvenirs collectifs.
Les Afro-Iraniens, également connus sous le nom de « Siya » (en persan « Noir ») ou « Bambasi » pour certains groupes, sont issus de la traite des esclaves orientale. Des routes commerciales reliaient l’Afrique de l’Est au Moyen-Orient à partir du IXe siècle, emmenant des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants africains vers des terres éloignées, telles que le sous-continent indien, la péninsule Arabique et la Perse, aujourd’hui l’Iran. Si l’histoire de l’esclavage à l’Atlantique est bien documentée et reconnue, la traite orientale, bien que moins visible dans les récits historiques occidentaux, est tout aussi importante. Les Africains furent échangés, surtout à partir de la côte swahilie, pendant des siècles par des marchands arabes, portugais et perses.
Les Afro-Iraniens ont été esclaves pendant longtemps après les abolitions occidentales. Le XIXe siècle, notamment, est marqué par une augmentation des importations d’esclaves en Iran, où de riches familles persanes, notamment sous les dynasties Kadjar et Safavide, utilisaient des esclaves africains dans les maisons aristocratiques pour des tâches domestiques, parfois aux côtés d’esclaves circassiens ou d’Europe de l’Est. Les esclaves noirs, femmes et enfants surtout, étaient intégrés aux maisons, où ils devenaient des domestiques ou des concubines. Ce n’est qu’en 1848, sous l’influence britannique, que Mohammad Chah Qadjar signe un firman (décret) interdisant officiellement la traite des esclaves, même si l’esclavage est officiellement maintenu jusqu’au début du XXe siècle. De nos jours, les pratiques musicales telles que le bandari évoquent encore les origines africaines de ces Iraniens.
Un mouvement de réhabilitation identitaire a vu le jour depuis les années 2020, représenté par des groupes tels que le Collective for Black Iranians, qui cherche à donner une visibilité à la communauté afro-iranienne. Le but du collectif est de promouvoir les Afro-Iraniens auprès du grand public, en soulignant leur apport à la culture et à l’identité iranienne, ainsi que les discriminations dont ils sont encore victimes. Le collectif, inspiré par des mouvements comme Black Lives Matter, s’engage à reconnaître la négritude iranienne et à accepter la diversité raciale du pays.
Des activistes tels qu’Alex E. Eskandarkhah s’efforcent de renverser les significations négatives liées au mot « Siya » et de faire de cette dénomination un symbole d’affirmation et de fierté. Dans leur œuvre, les Afro-Iraniens consolident leur position dans la « scène » iranienne, cherchant à déconstruire des préjugés, tels que l’idée que les Afro-Iraniens seraient « noirs par le soleil ». Une culture de déni de l’esclavage a contribué à renforcer ce type de mythe, que des chercheurs tels que Beeta Baghoolizadeh expliquent par l’influence du « mythe aryen », une croyance populaire héritée de l’histoire persane, selon laquelle les « vrais » Iraniens n’auraient jamais été esclaves ni héritiers de lignées de populations africaines.