Avec cette nouvelle décision de bannir les produits comme le cacao, le café et le soja issus de la déforestation et portant atteinte aux droits humains, notamment en Afrique, le devoir de vigilance s’impose de plus en plus et se propage à toute l’Europe et au-delà. C’est une bonne nouvelle pour les entreprises responsables de toutes tailles.
La Norvège et l’Allemagne ont déjà adopté des lois dédiées, les Pays-Bas et la Belgique sont en cours de travaux législatifs et la directive européenne se discutera au Parlement au premier semestre 2023. Cette harmonisation européenne est urgente pour éviter des disparités nationales. Les différentiels de seuils et périmètres d’application ainsi que de sanctions sont en effet facteurs de risques.
En imposant aux sociétés de plus de 5.000 salariés d’élaborer et mettre en place un plan de vigilance pour prévenir, gérer les risques sociaux, santé-sécurité et environnementaux graves liés à leurs activités et rendre compte publiquement des résultats, la France s’est engagée. Ce devoir de vigilance a modifié les pratiques en profondeur jusque sur le continent africain. Les exigences descendent jusqu’au niveau des fournisseurs dont les contrats exigent aussi de leur part l’exercice de vigilance à l’égard de leurs propres fournisseurs.
Bien sûr, rien n’est parfait et beaucoup reste à faire. Les procédures en cours en France le montrent. Certaines parties prenantes se sont emparées des voies de recours offertes. Mises en demeure, assignations devant les tribunaux, le tout accompagné bien entendu de campagnes médiatiques et sur les réseaux sociaux ont fleuri. Les sociétés actuellement visées sont en quelque sorte les malheureux cobayes judiciaires de cette mutation juridique.
Cette quête de jurisprudence a toutefois le mérite de montrer que les risques de responsabilité juridique sont sérieux. Ces actions illustrent combien ce devoir de vigilance est exigeant et son extension prochaine à l’échelle des 27 Etats membres de l’UE peut modifier les pratiques de filières exposées à des risques sociaux et environnementaux. En visant 13.000 grandes entreprises européennes et 4.000 de pays tiers c’est indirectement tout leur écosystème de PME jusqu’en Afrique qu’il s’agit d’embarquer pour garantir des filières responsables. Même si on ne peut exclure que des entreprises, notamment asiatiques, s’organisent pour échapper aux seuils d’application, cette extension européenne est en effet une bonne nouvelle à deux titres.
Les trajectoires prises depuis quatre ans par les entreprises françaises et leurs fournisseurs leur donnent de l’avance. D’autant plus que la Directive reprend de la Loi Pacte de 2019 le fait que toute société française doit être « gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Cet article 1833-2 du code civil appelait ni plus ni moins à l’exercice du devoir de vigilance pour toute décision de gestion.
La seconde bonne nouvelle est que si les entreprises françaises essuient aujourd’hui les premières salves judiciaires, ce sera le tour demain de leurs compétiteurs déloyaux commercialisant des biens et services en Europe, issus du travail forcé, de la déforestation ou contribuant au changement climatique. En imposant le devoir de vigilance aux entreprises établies hors d’Europe, l’UE s’équipe enfin d’un levier pour lutter contre le dumping social et environnemental de compétiteurs sur lesquels ne pèse aucune obligation équivalente. Souhaitons que les ONG mobilisées aujourd’hui, sauront exercer les mêmes pressions à leurs égards.
Pourquoi ce sont sans doute les PME et PMI européennes et africaines qui ont le plus à y gagner ? Parce qu’en anticipant et mettant en place leur propre stratégie de vigilance de manière concertée, elles deviennent les maillons essentiels de nouvelles chaines de valeurs plus proches et plus responsables, au moment où justement la priorité est donnée à l’industrialisation de l’Afrique. Les grands donneurs d’ordres européens et leurs partenaires sur le continent ont un intérêt à partager l’exigence et l’excellence de vigilance, avec le soutien des institutions financières.
Certains acteurs ont d’ailleurs pris les devants de manière audacieuse à l’instar de la CAMIF qui a renoncé à proposer sur sa plateforme e-commerce des produits qui ne soient pas made in Europe. Son dirigeant assume tant la perte de 5% de chiffre d’affaires à court terme, que l’impact positif sur son écosystème de fabricants français et européens. Bientot africains ? Certaines entreprises visionnaires, au Maroc, en Cote d’Ivoire, sur le continent se sont mises en ordre de marche pour se faire.
Parce qu’à l’heure où l’Europe entend renouveler le partenariat avec l’Afrique, le devoir de vigilance est aussi un moyen de sceller un pacte de confiance, un « fair new deal » entre nos économies. Il constitue un levier pour développer sur le continent des chaines de valeur de plus grande proximité, pour le bien de toutes les parties, de l’environnement, de la biodiversité et des jeunes générations, de part et d’autre de la méditerranée.
Bref, la vigilance est l’alliée de tous les acteurs économiques, financiers et politiques qui veulent être utiles à la société et à un développement durable ! Les entreprises des deux continents doivent l’anticiper avec méthode, pour saisir les opportunités qui se présentent, d’autant plus celles qui se sont dotées d’une raison d’être, du statut de société à mission ou d’une stratégie d’impacts.
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