Tranche de vie: Le désarroi des épouses de migrants sénégalais
by BAM-TV 2022-12-15 13:09:10

Tranche de vie: Le désarroi des épouses de migrants sénégalais

Les mariages à distance sont devenus une réalité dans la société sénégalaise. Un phénomène dont presque tout le monde parle tant en mal qu’en bien. Il est à l’origine de nombreuses difficultés dont les victimes, notamment les femmes, ont du mal à parler. Nous avons pu toutefois recueillir les avis de certaines d’entre elles.

 

Mariage à mi-temps

 

Fatima Dia 45 ans raconte : « Mon mari est en Suisse. Il peut rester parfois 8 mois sans venir. Et quand il vient, il ne reste que pendant 1 mois à mes côtés. Je savais ce qui m’attendait au moment de me marier parce que c’est mon cousin. Vivre avec un émigré est extrêmement difficile. Le souhait de toute femme mariée, c’est de voir son mari tous les jours à ses côtés. Ce n’est pas évident d’être dans un ménage où son mari est à l’autre bout du monde durant presque toute l’année. Il arrive que je reste sans ses nouvelles, alors que je suis malade. J’aurais souhaité partir de temps en temps en vacances et profiter de moments avec lui.

Néanmoins, je ne voudrais pas que mes enfants grandissent à l’étranger parce que les enfants y sont favorisés et ont beaucoup trop d’indépendance par rapport aux réalités qu’il y a au Sénégal. Mon mari est dans un pays où il est défendu de frapper sa progéniture, au risque de voir son enfant arraché des mains de ses parents et placés dans une maison d’accueil. Si un enfant grandit en étant conscient de toute cette liberté qui lui est octroyée, il peut aller tout droit à la dérive, une fois la majorité atteinte. Et ce sera trop tard pour le remettre sur les rails. Mon mari m’a lui-même dit qu’il ne veut pas que ses enfants grandissent là-bas. Il n’aimerait pas que nos enfants héritent de l’éducation occidentale. Et je le soutiens totalement sur cette décision ».

 

Marie 35 ans regrette : « Je vais bientôt faire 6 ans de mariage. Mon mari a fait presque 33 ans en Italie parce qu’il a voyagé alors qu’il n’était même pas encore majeur. Mais, il n’est pas venu au Sénégal depuis presque 3 ans. Puisque je n’ai pas le choix, j’essaie de faire avec cette situation. De mon côté, je vaque quotidiennement à mes occupations. Je m’occupe de mes activités et je me contente des nouvelles qu’il me donne de temps en temps. Je suis une femme et comme chaque femme, j’aurais voulu que mon mari soit à mes côtés. Mais comme on dit, « si on n’a pas ce que l’on veut, on se contente de ce que l’on a ». Je ne peux pas trop m’avancer sur ce que les autres femmes vivent là-bas parce que cela ne me concerne pas. Ce qui m’intéresse, c’est la relation que j’entretiens avec mon époux. Je ne lui pose pas de question par rapport à cela, parce que cela serait synonyme de chercher et « qui cherche trouve.

 

Seynabou, 37 ans, fustige : « Ça fait 2 ans que mon mari a voyagé. A vrai dire, se marier avec un émigré, ne fait vraiment pas l’affaire. Avant le mariage, ils te font des promesses qu’ils oublient tout bonnement lorsqu’ils t’épousent. Je peux comprendre quelqu’un qui n’est pas en règle avec ses papiers. Mais, il y a ceux qui abandonnent leurs femmes ici au Sénégal de leur propre gré. Personnellement, je n’y trouve pas mon compte. Je n’ai jamais voulu avoir un mari émigré. Mais souvent, Dieu nous donne des choses qu’on ne souhaiterait jamais avoir. Si c’était à refaire, je ne le referai pas

 

Mari absent, la femme angoissée

 

Fatima Dia 45 ans : « Je ne me plains pas trop parce que je suis née dans une famille où mes parents voyagent. Moi qui vous parle, je suis née à l’extérieur. Donc, je me suis habituée à ça. Ce qui me dérange un peu, c’est la solitude. Comme je l’ai dit parfois mon mari me manque et il y a des moments où j’ai vraiment besoin de mon mari à mes côtés. Je me rappelle quand j’étais petite et que je voyais mon père voyager tout le temps, je disais que je ne voudrais pas avoir un mari « Modou-Modou ». Je connais la tristesse que l’on ressent quand on reste pendant des années sans voir son papa. Mais on ne peut rien faire face à la volonté divine. »

 

Marie, 35 ans : « Si je pouvais remonter le temps, je ne me serais jamais mariée avec un émigré, parce que ce n’est pas la vie que je souhaitais avoir. Mais nul ne peut échapper à son destin. Puisque l’homme propose et Dieu dispose, nous ne pouvons que demander à Dieu de changer la situation afin que nos maris reviennent entre nos mains. Ce n’est pas du tout facile. La femme a une carrière trop courte, surtout lorsqu’elle ne se marie pas tôt. Ce qui n’est pas le cas chez l’homme qui a la capacité de se marier quand il veut et fonder une famille. Ce sont des choses que nous endurons et ne pouvons malheureusement dire à personne. Ce qui me réconforte un peu, c’est la belle-famille compréhensive et adorable que j’ai eu la chance d’avoir. »

 

Seynabou, 37 ans : « Nous ne sommes que des épouses virtuelles. Je ne sais presque rien de mon mari. Toutes nos communications tournent autour des salutations d’usage et des nouvelles de la famille.

Lorsque tu vis loin de ton mari, tu t’occupes seule de tes enfants. C’est sans compter les tâches ménagères auxquelles il faut faire face quotidiennement. Se marier avec un émigré n’a rien d’extraordinaire. Au contraire, cela te retarde sur beaucoup de plans. Ils ne sont même pas conscients de tout ce que leurs femmes endurent dans ces ménages où il n’y a même pas de progéniture. Et, tout le monde sait que la ménopause n’attend pas la femme. »

 

Quand le problème de l’état-civil se pose

 

Fatima Dia, 45 ans : Je n’en ai pas discuté avec mon mari. Mais j’ai entendu dire que seule la monogamie est autorisée en Europe. Nous avons fait d’abord notre mariage traditionnel, par la suite, nous avons fait le mariage civil parce qu’on lui impose d’avoir les papiers là où il est. Même les papiers de divorce leur sont imposés lorsqu’ils se séparent de leur épouse. Déclarer sa famille est obligatoire à l’extérieur. »

 

Marie 35 ans : « Je ne peux pas trop m’avancer sur ce problème parce que cela ne me concerne pas. Ce qui m’intéresse, c’est la relation que j’entretiens avec mon époux. Je ne lui pose pas de question par rapport à cela, parce que cela serait synonyme de chercher et « qui cherche trouve. » Je peux dire que je ne sais rien de ce qui se passe là où il est parce que ça ne me concerne pas. »

 

Anta 50 ans se confie : « C’est en 2007 que j’ai rejoint mon mari en Italie. Je n’ai pas eu de problème pour le regroupement familial parce que j’avais mes papiers. Je connais mes droits mais, je n’accorde pas trop d’importance aux lois qui donnent de la force aux femmes en terres étrangères, je préfère garder les valeurs qu’on m’a inculquées parce que tout est un problème d’éducation. Je préfère être soumise. Nous avons nos valeurs et nos croyances et je préfère les garder. »

 

Bitilokho Faye Juriste de Formation, Consultante à la boutique de Droit de la Médina

 

Dans les boutiques de droit, on ne reçoit pas beaucoup d’émigrés ou bien les femmes d’émigrés. Quand elles viennent me voir, le plus souvent, les problèmes qu’elles me soumettent sont des problèmes d’État-civil. C’est-à-dire que leurs mariages ne sont pas enregistrés, ou pour les documents d’identité de leurs enfants. Car, le plus souvent, le papa est absent. Donc, pour la déclaration, cela pose un problème. Pour les épouses des émigrés, on rencontre le plus souvent ces genres de problèmes. Elles nous disent : Mon époux, depuis qu’il est parti, je n’arrive pas à déclarer mon mariage. C’était un mariage coutumier ou religieux ? Jusque-là, on n’arrive pas à déclarer ce mariage car, les papiers font défaut.

 

À part ce problème d’état civil, les femmes des migrants, quand elles viennent nous voir pour un divorce, elles soulèvent aussi d’autres problèmes pour lesquels elles veulent divorcer.

 

Comme vous le savez, la loi a mis en place ce qu’on appelle les causes de divorce qui sont au nombre de 10 que je ne vais pas énumérer parce que ce n’est pas le thème. Mais, retenez que parmi les causes de divorce, il y a aussi un défaut d’entretien. Vous allez sans doute me demander comment des femmes qui ont des époux émigrés peuvent-elles avoir des problèmes liés aux défauts d’entretien ?

C’est la réalité ! Le plus souvent, quand elles viennent nous voir, elles disent que leurs époux n’envoient pas ou envoient rarement la dépense (frais liés à l’alimentation)

Ou bien ce que leurs époux donnent, est inférieur aux charges familiales. Également, elles peuvent nous dire que l’argent passe par la belle famille. Soit par la maman, soit par les belles-sœurs. Du coup, on a énormément de cas où on nous soumet des problèmes de défaut d’entretien.

 

L’incompatibilité d’humeur.

 

Quand on est à l’extérieur, il y a d'abord un problème de distance qui se pose. La communication pose problème. On ne parle pas le même langage. Il y a aussi une violence psychologique qui s’installe parce que parfois, il y a des femmes qui nous disent que leurs époux les violentent psychologiquement en les insultant ou en les intimidant. Du coup, ça crée des frustrations en elles, de la peur, de l’inquiétude. Et la violence comme vous le savez, est bannie sous toutes ses formes. Donc, elles viennent nous voir pour nous dire qu’elles n’en peuvent plus, qu’elles ont assez supporté, qu’elles ont assez enduré et qu’elles veulent sortir de leurs ménages.

 

Le problème de l’autorisation parentale.

 

Retenez qu’au Sénégal, jusque-là, la loi a octroyé l’autorisation parentale au papa. Donc, c’est au père de signer cette autorisation parentale. Parfois après divorce, il se trouve que la mère a la garde des enfants. Et au moment de voyager avec les enfants, le papa peut refuser de signer l’autorisation parentale. Ce qui pose énormément de problèmes. Si aujourd’hui vous allez au niveau du bureau des passeports, vous verrez qu’ils ont énormément de dossiers concernant l’autorisation parentale. Néanmoins, les choses ont commencé à bouger. Parce que dans nos juridictions, beaucoup de juges ont commencé à prendre des mesures par rapport à cette autorisation parentale. Il n’est pas intéressant que la maman ait la garde de ses enfants, elle est avec ses enfants chaque jour, elle veille sur eux, et au moment de voyager, on leur interdit cela sous prétexte qu’il faut impérativement que le papa signe une autorisation. Il y a des pères qui, après le divorce, ont des droits de visite qu’ils n’exercent même pas. Ils ne versent pas la pension alimentaire. Donc leur octroyer ce droit, est vraiment injuste. Nous, en tant que militantes des droits humains, cela fait partie de nos combats. Ce n’est pas encore gagné mais, nous espérons que dans les années à venir, cette autorisation parentale n’ait plus lieu, ou bien ce sera une autorisation parentale concédée aux deux parents. Voilà en gros les problèmes que les femmes de migrants nous soumettent, nous livre Bitilokho Faye.

 

Les couples à distance rencontrent d’énormes difficultés dont : L’incompatibilité d’humeur, le manque de communication, la violence verbale, la non-déclaration des enfants à l’état civil, le défaut d’entretien etc. Malgré la frustration et l’humiliation que vivent quotidiennement ces femmes, elles restent dignes et ont la pudeur de ne pas en parler. Mais tout n’est pas perdu car, elles peuvent compter sur le soutien des organisations mises en place pour améliorer leurs conditions d’existence.


Journaliste : Fatimetou SOW

Photo: F.S


Cet article a été réalisé dans le cadre du projet Nouvelles Perspectives cofinancé par l’Union Européenne


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